Memento Vanitas

Memento Vanitas*

                                                                                                                                                                                                                                     *Souviens-toi de la vanité

       Une vanité est une composition allégorique qui nous rappelle que nous sommes mortels et que notre vie s’achèvera un jour.

Memento Vanitas est une série en porcelaine émaillée, créée par l’artiste Paul Gorostis. Elle représente ce que l’artiste appelle des vanités modernes. En reproduisant des viscères humains à l’échelle 1:1 en porcelaine, l’artiste tente de soumettre au regard du public la représentation de son propre corps, rappelant ainsi au spectateur sa condition de mortel, et son bref passage sur terre. Dans les représentations classiques et académiques, les vanités étaient généralement représentées par des crânes humains,  le fait de pénétrer le corps et d’en extraire ses organes, viscères, donne une toute autre représentation de l’appareil humain, cette machine fragile, fébrile et complexe.

L’ensemble des viscères humains, le cœur, les reins, le foie, les poumons, le pancréas, l’intestin, le cerveau, la rate, l’estomac et l’utérus, forment ainsi les différents éléments de cette série.

« Peu de personnes savent à quoi ressemblent réellement leurs organes internes, leur reproduction en terre cuite émaillée, leur donne ainsi le loisir de regarder ce qui les constitue, qui les fait hommes et  les fait vivre. En mettant en exergue ces derniers, c’est à la fois la vie et la mort qu’ils contemplent. Ces pièces perpétuent ainsi la tradition classique des vanités, tout en les revisitant.  » Paul Gorostis

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L’émail blanc de ces pièces leur confère un aspect immaculé, virginal, primaire,  transfigurant la forme originelle de ces objets, qui sont néanmoins sans aucun détour les représentations fidèles d’organes humains.

« L’émail de ces pièces, transforme l’aspect de ces organes, l’émail adoucit leurs formes. La blancheur des pièces donne l’aisance au spectateur de spéculer sur la nature de ces objets, mais le rappel sans équivoque de leur matrice, de leurs fonctions originelles, apostrophe le public, soumettant l’objet à sa fonction vitale, le public à sa condition irrévocable de mortel. J’aime ainsi l’ambivalence de ces objets à la fois informes et abstraits, et pourtant si précisément définis à la destiné  vitale du grand dessein de la vie. »  Paul Gorostis  

L’artiste a choisi  pour réaliser cette série de vanités, la terre cuite.  Car pour lui, cette technique renvoie directement à un fragment de L’Ecclésiaste de Qohelet, « la poussière retourne à la terre comme elle en est venue, et le souffle à Dieu qui l’a donné »

Le principe des « Vanités » remonte à l’Antiquité. Ainsi lorsqu’un général romain défilait après une grande victoire, paradant devant le peuple lors d’une cérémonie de triomphe, un esclave se tenait toujours debout derrière lui. Alors  que le général recevait les plus grands honneurs, se gonflant d’orgueil et de contentement, l’esclave brandissait une couronne de lauriers au-dessus de sa tête  répétant inlassablement à son oreille : « Memento mori ! Memento mori ! ».

« Souviens-toi que tu es mortel, souviens-toi que tu vas mourir. ».

A l’époque antique Le memento mori soutenait avant tout le thème du carpe diem. Horace  écrivait « nunc est bibendum, nunc pede libero pulsanda tellus », C’est maintenant qu’ il faut boire, maintenant qu’ il faut frapper la terre d’un pied léger, (Odes d’Horace, I,11). En  soulignant ainsi qu’il est l’heure de se réjouir, car il n’y aura ni boisson ni danse après la mort, Horace célèbre la vie,  tout en  écartant  vanité et orgueil de son discours. Reste, indifféremment cette épée de Damoclès,  fin inexorable, brandie communément, criant de toutes ses sirènes que nous sommes mortels, si l’oublier nous avait par mégarde saisis, le temps d’un instant.

Le mot « vanité » retient plusieurs sens. Il désigne avant tout un défaut humain, l’orgueil. Mais il porte également  une autre signification, rappelant ce qui est vain. Sa racine latine « vanitas »  vient du mot « vanus » signifiant, vain, c’est-à-dire ce qui est vide, creux, inutile et illusoire. Une « vanité » désigne donc autant l’orgueil  et tout ce qui est frivole et insignifiant.

       Le rappel de cette mort qui viendra achever chaque existence humaine est également présent dans l’Ancien Testament, en premier lieu dans le livre d’ Isaïe, » Qu’on mange et qu’on boive, car demain nous mourrons !  » (Isaïe 22:13) et dans le livre appelé « L’Ecclésiaste » ou bien « Livre de Qohelet ». Se désignant comme « fils de David et roi de Jérusalem », Qohelet  débute son texte par : « Vanitas vanitatum et omnia vanitas »

«Vanité des vanités, tout est vanité ».

 הֲבֵל הֲבָלִים הַכֹּל הָֽ (vanité des vanités, tout est vanité). Le terme traduit par « vanité » signifie littéralement « souffle léger, vapeur éphémère ». Son discours incline ainsi  le lecteur  à méditer sur la nature passagère et vaine, vanus, de la vie humaine, la vacuité des plaisirs du monde face à la mort qui guette.

Chapitre 1 : [1] Paroles de l’Ecclésiaste, fils de David, roi de Jérusalem. [2] Vanité des vanités, dit l’Ecclésiaste, vanité des vanités, tout est vanité. [3] Quel avantage revient-il à l’homme de toute la peine qu’il se donne sous le soleil? [4] Une génération s’en va, une autre vient, et la terre subsiste toujours. [5] Le soleil se lève, le soleil se couche; il soupire après le lieu d’où il se lève de nouveau. [6] Le vent se dirige vers le midi, tourne vers le nord; puis il tourne encore, et reprend les mêmes circuits. [7] Tous les fleuves vont à la mer, et la mer n’est point remplie; ils continuent à aller vers le lieu où ils se dirigent. [8] Toutes choses sont en travail au delà de ce qu’on peut dire; l’œil ne se rassasie pas de voir, et l’oreille ne se lasse pas d’entendre. [9] Ce qui a été, c’est ce qui sera, et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. [10] S’il est une chose dont on dise: Vois ceci, c’est nouveau! cette chose existait déjà dans les siècles qui nous ont précédés. [11] On ne se souvient pas de ce qui est ancien; et ce qui arrivera dans la suite ne laissera pas de souvenir chez ceux qui vivront plus tard. [12] Moi, l’Ecclésiaste, j’ai été roi d’Israël à Jérusalem. [13] J’ai appliqué mon cœur à rechercher et à sonder par la sagesse tout ce qui se fait sous les cieux: c’est là une occupation pénible, à laquelle Dieu soumet les fils de l’homme. [14] J’ai vu tout ce qui se fait sous le soleil; et voici, tout est vanité et poursuite du vent.

        La formule qui ouvre le livre Qohélet, passée dans le patrimoine universel, « vanité des vanités, tout est vanité » [1.2]  répétée, presque identique, à la fin du livre [12.8], soulève quelques questions.  Qu’entendre par « vanité » ?  À suivre les emplois de ce terme, on peut distinguer trois grandes parties. Dans un premier temps (1,12-2,26) nous trouvons une réflexion sur la vanité des œuvres humaines, à travers la figure de l’homme bâtisseur, de l’homme qui construit et qui transmet à la génération suivante. Mais tout cela, pour Qohélet n’est que vent et  »vanité ». Dans un second temps (3,16-6,6), Qohélet réfléchit sur le sort de l’homme en tant qu’être social, tissant des relations amicales, économiques, politiques. Tout cela aussi n’est que  »vanité », vent, souffle léger. Dans un troisième temps (6,7-11,10), la méditation porte sur la  »vanité » de tout ce qui pourrait donner un sens à la vie humaine, l’orienter, lui donner une finalité et un achèvement. Cet achèvement  est la mort qui marque la fin de toute existence. À la fin de son discours, Qohélet termine sa réflexion par :  »la poussière retourne à la terre comme elle en est venue, et le souffle à Dieu qui l’a donné ». Rien ne tient, ou presque, dans la vie de l’homme, tout est  »vanité », vent. Entre la considération de la vanité des œuvres humaines, et celle de la vanité des constructions sociales,  quel est ce  temps que nous dépensons à vivre? Durant lequel nous essayons de construire, perpétrer, transmettre et dans lequel s’inscrivent nos relations, nos rendez-vous, nos fêtes ?

          De l’Antiquité à aujourd’hui, toutes les époques sont concernées par les Vanités. Mais c’est singulièrement au 17e siècle que ces représentations sont les plus nombreuses. Parmi les œuvres françaises les plus célèbres , nous  pouvons citer  Vanité (Philippe de Champaigne, vers 1650), La Madeleine à la veilleuse (Georges de La Tour, 1640) et les Vanités (Simon Renard de Saint-André 1613-1677) et en Italie Saint François en méditation (Le Caravage, vers 1602).  Il existe aussi des vanités aux siècles suivants, où nous pourrons citer  Crâne de squelette fumant une cigarette (Van Gogh, 1886) ou encore Skull (Andy Warhol, 1976).

Dans les vanités, les objets représentés sont tous symboliques de la fragilité et de la brièveté de la vie, du temps qui passe, de la mort. Nous retrouvons ce memento mori (souviens-toi que tu mourras) dans les symboles des activités humaines,  savoir, science, richesse, beauté immaculée. Les vanités dénoncent la relativité de la connaissance et la vanité du genre humain soumis à la fuite du temps, à la mort.

Plusieurs éléments se retrouvent souvent dans ces œuvres d’art appelées « Vanités ». Ainsi la fuite du temps qui passe, la brièveté de la vie, sont évoquées par des sabliers, des bougies qui se consument ou des horloges. Le crâne évoque la mort prochaine, les effets du temps sont aussi souvent représentés à travers les fleurs qui se fanent , les fruits, qui s’abiment, les pierres qui se lézardent. Les plaisirs de la vie sont aussi considérés comme « vains ». Ils ne sont que futiles et dérisoires au moment de mourir. Ainsi les « Vanités » présentent des éléments qui font référence aux sciences, aux arts, à la puissance, aux honneurs  et  à la beauté qui passe.

Paul Gibert