Les Portraits Paréidoliques
Pareidolie, du grec ancien pará, (« à côté de, faux »), et eidôlon (« simulacre, fantôme »),
diminutif d’eîdos, (« apparence, forme »).
Les Portraits Paréidoliques est une série de portraits réalisée par l’artiste Paul Gorostis.
Ces portraits ont été réalisés à l’acrylique noire sur du papier blanc 250g/m2, 40 X 30 cm, 2015
L’artiste a construit autour de ces portraits une réflexion plastique et sémantique sur la représentation du visage, de la figure et de la perception.
Selon Tzvetan Todorov, essayiste, philosophe et historien français le portrait est une image représentant un ou plusieurs êtres humains ayant réellement existé. Ayant pour attache de révéler ou de laisser transparaître les traits individuels, le portrait est un genre séculaire, attaché à la culture occidentale, présent dès la plus haute antiquité, aux confins du sacré et du profane, de la société et de l’individu.
Cette définition globale du portrait retient ainsi toute œuvre qui représente une personne d’après un modèle réel. En représentant l’effigie de cette personne, l’ artiste s’attache ainsi à en reproduire ou à en interpréter les traits et expressions caractéristiques.
« Pour cette série, j’ai pris mes modèles parmi mes amis et connaissances. Il était important pour moi que ces visages me soient familiers et intimes. A travers chacun d’eux, j’ai essayé d’exalter leurs images, souligner leur traits. Traits, que j’appelle fantômes. Fantôme, car ce n’est que par ces mêmes lignes qu’ils apparaissent ». Paul Gorostis
Les portraits de Paul Gorostis étudient les lignes du visage, ses contours, ses profondeurs. Au travers de lignes noires continues, l’artiste appréhende le flou en étudiant le paradoxe entre la ligne claire et l’impression. Paul Gorostis associe ses portraits à des paréidolies. Une paréidolie est une sorte d’illusion d’optique qui consiste à associer un stimulus visuel informe et ambigu à un élément clair et identifiable, souvent une forme humaine ou animale. Le cerveau structure son environnement en permanence, quitte à bouleverser les informations fournies par la rétine en objets reconnus. La paréidolie souligne alors la propension du cerveau à créer du sens par l’assimilation de formes aléatoires à des formes référencées.
« L’idée de ces portraits était d’atteindre un compromis entre la forme, le trait, l’informe, le visible, l’invisible, suggérant les visages tout en laissant au spectateur le soin d’atteindre la révélation de ces derniers. » Paul Gorostis
La paréidolie est généralement suscitée par le penchant naturel de l’homme à assimiler des perceptions nouvelles à celles déjà connues et répertoriées. C’est la plupart du temps utile pour identifier un objet nouveau comme appartenant à une catégorie connue. Mais cette tendance primitive peut entraîner des erreurs. À la différence des autres illusions d’optiques, qui résultent des lois universelles de la perception humaine, chacun peut, dans le cas des paréidolies, discerner des interprétations différentes.
« L’homme a une tendance naturelle à discerner des visages dès qu’un objet y s’apparente. Cette prédisposition, influence grandement notre perception. »Paul Gorostis
Nos perceptions sont ainsi toujours altérées par nos propres attentes et prédispositions. “ On devine plus qu’on ne voit ”, explique John Kevin O’Regan, directeur du laboratoire Psychologie de la Perception (Paris). Utilisée par le célèbre test de Rorschach, les phénomènes de paréidolie sont des outils qui permettent aux thérapeutes d’instruire le patient sur les divers aspects de sa personnalité et son état d’esprit.
Jean-Luc Roulin, maître de conférence à l’Université de Savoie, souligne, dans son ouvrage Psychologie Cognitive, que nous disposons d’ “une représentation prototypique du visage de l’espèce”, sans doute grâce à une “prédisposition génétique”. Ce phénomène serait un caractère privilégié par la sélection naturelle. Le cerveau humain est ainsi prédisposé à reconnaître un visage humain. La paréidolie souligne ainsi les mécanismes innés de reconnaissance de formes. Le visage est un objet visuel complexe. Sa réception stimule différentes fonctions mentales, liées à la reconnaissance, reconnaissance de l’espèce, reconnaissance de l’autre comme semblable, reconnaissance de l’identité, reconnaissance des émotions, reconnaissance des signaux de communication.
Selon Etienne Souriau, philosophe français, « Bien qu’uniquement visuel, le portrait peut rendre très sensible la personnalité intérieure du modèle, par de nombreux indices tels que la pose, l’expression de la physionomie ».
« Mes portraits sont des interprétations qui cherchent à représenter l’apparence extérieure d’une personne tout en lui conférant son caractère, les sentiments qui l’agitent, sa vie intérieure. Ces représentations sont des propositions, des interprétations. En étudiant dans ma pratique les phénomènes liés à la paréidolie, je me suis attaché à ce que l’on devine plus qu’à ce que l’on ne voit. Travailler l’abstraction m’a également permis d’appréhender le punctum, que Roland Barthes met en lumière dans La chambre claire, par contre point au studium . »
Lorsque Roland Barthes révèle la notion du studium, dans La chambre claire, il ne veut pas dire, du moins tout de suite, « l’étude », mais l’application à une chose, le goût pour quelqu’un, quelque chose, une sorte d’investissement général, sans acuité particulière. L’image est alors traversée par la culture du regardant, investie par sa conscience. En contre point du studium, vient le punctum. Venant rompre le studium, le punctum surgit de l’image, de la scène, comme une flèche pour venir percer l’oeil du regardant. Le punctum est généralement un détail, quelque chose qui attire l’attention à partir duquel nous nous projetons. C’est par ce détail que l’oeil est affecté et qu’un nouveau monde s’ouvre au regard. Ce second élément venant attaquer le studium, que Roland Barthes appelle le punctum, est selon ses mots, une piqûre, un petit trou, une petite tache, une petite coupure qui, en l’image, point, meurtrit, poigne.
« Dans ces portraits j’ai essayé de retenir les conditions favorables à l’émergence du punctum, à son apparition. Le champs de la paréidolie me semble un terrain propice à ces piqûres. »
Paul Gibert